C’est avec une sorte d’effroi que j’ai du m’y résoudre : je ne suis pas Belle des Champs1.
Pourtant j’y ai cru un moment, à baguenauder dans les pâturages cheveux au vent, le bonheur du pré vous savez, mais un très léger problème est venu réduire à néant mes plans le jour où une oie m’a attrapé le mollet pour le pincer tellement fort que je n’ai pas réussi à l’envoyer valdinguer2, à peine quelques mois après avoir été mordue par un chien taré, plus balancée à terre par un cheval surexcité, plus terrorisée par des serpents au petit déjeuner. Et je n’aborde même pas la question des guêpes, non, on va pas épiloguer.
Bref. Les animaux et moi, on n’est pas vraiment très copains (mais vous avouerez que je n’y suis pour rien). C’est donc un peu fatalement que j’ai abandonné l’idée d’épouser un éleveur de vaches, que j’ai laissé tomber toute velléité champêtre3, que je me suis réfugiée en ville, en plein coeur de la ville, là où tu peux trouver en même pas dix minutes un paquet de clopes à 2h du mat’ si t’es en panne, là où t’as pas besoin de te taper 300 bornes just because tu dois ABSOLUMENT faire l’acquisition d’un Flare, là où la 3G te laisse jamais en rade de l’Internet4, là où théoriquement t’es tranquille question faune animale : y a tellement une qualité d’air bizarre que même les fourmis ont abandonné la colonisation. Évidemment, restent les pigeons. Tout le monde sait qu’un jour ils nous extermineront5, mais en attendant c’est pas encore méchant, un pigeon. C’est juste devenu omnivore, première étape de la grande transformation. Omnivore, et assez largement con.
J’ai signé OK pour les pigeons. Et même OK pour les mouches qui volent en carré dans le salon dès que le printemps menace d’arriver, si t’as l’idée saugrenue d’ouvrir la fenêtre alors qu’on t’a prévenu cent fois à grands coups d’alerte que la pollution, pas bon.
Mais j’ai jamais signé OK pour les rats, bordel. Et pourtant. Il y en a partout, des rats, dans la ruelle en bas de chez moi. « Bah ouais normal, vu que justement t’habites en ville, hé » (?), disent les gens, « et pire » (??), « en centre-ville » (???). Ha bon. C’est pas comme si je me doutais un seul instant que les rats avaient décidé à l’unanimité que les transports en commun, c’est plus pratique pour aller bosser, ou même qu’ils n’étaient pas contre une toile avant d’aller faire la fête all around the night. J’ai vu Ratatouille, hein, et Cendrillon, et Bernard et Bianca, j’ai lu Mickey Parade, etc. J’ai même habité dans la capitale de la France, avant. Mais jamais vu des dizaines de rats prendre leurs quartiers en bas de chez moi comme s’ils habitaient là. Faut dire que les gens ont un peu raison, j’ai emménagé rue du Palais Bourbon : à droite, les poubelles débordent. A gauche, pas mieux. Et tout au bout, juste devant, des snacks-to-pack. Kebabs et nouilles en boîte.
Damned. Un jardin d’Eden pour les rats, imagine-toi.
Pas trente-six solutions pour les faire quitter le navire : pas question de les exterminer6, me reste à les décider à s’expatrier. J’ai tenté la médiation-voisinage7, sans le quart de la moitié du succès de Maître Bergès8 : ha non les poubelles ne sont à personne et on se demande d’ailleurs bien ce qu’elles fichent là, dites, je vous jure9 hein que c’est pas à moi, blabla. J’ai tenté le jet d’objets divers et variés, pour leur foutre la trouille et les faire décamper. Pas marché. Et puis je me suis souvenue de cette histoire de conte à la Charles Perrault10, qui plaisait beaucoup à ma prof d’allemand.
Eurêka !!
J’ai appelé la mairie. Bonjour bonjour, j’ai un problème de rats. Vous avez un joueur de flûte, les gars ? Oh oh mais oui et même mieux que ça. On vous l’envoie.
Et c’est comme ça que j’ai vu débarquer Mister Love chez moi.
Mister Love de son vrai nom11. Mon dératiseur à moi. Qui ne joue pas de flûte, cela dit, ils ont un peu raconté n’importe quoi à la mairie. Enfin à ce que je sache, en tous cas, car même si depuis on s’appelle tous les jours environ, je ne connais pas grand chose à sa vie. Mais ça ne saurait durer, si j’en crois Susan Miller12 : je devrais, si tout va bien avec Vénus et ses copains, épouser Mr Love le 3 juin.
En attendant ce grand bonheur, la robe et les enfants d’honneur, je lui ai raconté.
Han lala Mr Love, c’est vraiment gentil de venir me sauver dites donc. J’ai un problème, voyez13. Certes, contrairement aux habitants de Hamelin, je ne ne meurs pas de faim, et tant mieux j’ai envie de dire14, et d’ailleurs je ne vis même pas en 1284 à Hamelin (quel bol). Mais sinon, tout pareil qu’eux : il y a des rats partout, partout, partout.
Mister Love est du genre qui prend très au sérieux ce genre de propos, je peux vous dire. Pas du tout le genre de mec que ce genre de problème fait rigoler à grand coup de ouais ouais c’est hyper effrayant les rats on dit même qu’ils ont fomenté un complot contre toi, à ta place j’envisagerais un vol spatial pour avoir une chance de leur échapper, mais bon c’est toi qui vois15. Pas du tout. Mr Love, il te regarde et boit tes paroles, et se met à faire les cent pas, regard en bas. Il répertorie les crottes de rats, les nids (??), les accès à la grande vie souterraine que tu as direct placée dans la case « déni » le jour où on t’a appris qu’il y vivait des alligators à Paris. Il hoche la tête l’air embêté, olala mais vous êtes carrément colonisée, c’est à peine vrai.
Ben oui, je sais hein, je dis. Tu crois que je t’aurais appelé pour quoi, à part ça ?!
Et alors il fait des plans de bataille, on va blinder toute la rue avec du béton armé, Madame, histoire qu’ils restent en bas, vos rats. Avec les alligators, quoi. Et on va vous envoyer la brigade propreté. Et il m’appelle en pleine journée, hey dites ça vous dirait que je vienne expliquer les règles de cohabitation ratesques à la communauté urbaine rapportée à votre impasse, Madame ?16
Bon. Je le soupçonne d’en dire trop et de n’en faire pas tout à fait assez, histoire que le numéro de téléphone qu’il m’a donné me soit d’une autre utilité que celle de crâner auprès de qui veut bien l’entendre que ouais, moi j’ai le tel perso de Mister Love, sans déconner. Parce que les rats sont toujours là, un peu moins qu’hier peut-être mais que va-t-il se passer demain, personne ne sait très bien. Parce que je suis obligée de l’appeler vraiment souvent, et surtout chaque matin quand la veille j’ai frôlé l’infarctus à cause d’un rat de la taille d’un puma (ou pas loin). Parce qu’à ce compte là, un jour viendra où on avalera nos jus de pamplemousse ensemble, et même qu’il finira par se pointer avec les croissants, et pas juste pour faire plaisir à Susan Miller, hein. Mais juste parce qu’il sera là.
Sauf que.
Je ne sais pas si discuter rats du soir au matin, et vice-versa, c’est un truc à me faire grimper au 7e ciel, tu vois.
- c’est injuste d’ailleurs : je donne à qui veut mon fromag-euh, je l’aurais complètement mérité ! [↩]
- j’avais 7 ans. CQFD [↩]
- pas complètement et god bless family, où donc jouer au billard à coups de pintes dans l’arrière salle du Chiquito, sinon ?? [↩]
- sans qui tu ne sais plus trop s’il va pleuvoir, ou même carrément neiger, résultat impossible de sortir de chez toi sans risquer de plomber le cuir de ton perfecto ou de mourir de froid, tu avoueras. [↩]
- pas toi ? tsss dis donc ça sert à quoi que Alfred Hitchcock il se soit tué à faire des films, dis-moi ?! [↩]
- tu ne tueras pas ton prochain, remember, sauf si tu as très très faim – Koh Lanta n’étant absolument ni une option ni un projet pour moi, rapport aux bêtes etc., pas besoin de commencer à m’entraîner à boulotter du rat ! [↩]
- il y a du Julien Courbet en moi, l’évidence est là. [↩]
- RIP [↩]
- Marie-Thérèse, ne jurez-pas. Easy one, mais on s’en lasse pas. Ha si ? [↩]
- qui mériterait un procès, soit dit en passant, tellement il est responsable de tous ces machins débiles de princes charmants ! [↩]
- si si, crois-le ou pas, on l’appelle vraiment comme ça. [↩]
- sans qui mon existence ne serait qu’un long fleuve trop tranquille sans que jamais Mercure n’entre en opposition avec Pluton – vraiment, vraiment pas marrant ! [↩]
- en plus d’avoir des références musicales exceptionnelles, et un vaste débat en cours rapport à l’amour qu’on récolte ou qu’on sème. [↩]
- quoi qu’en pense ma balance depuis que j’ai enfin changé sa pile – sans déconner, quoi de plus PRATIQUE qu’une balance au bout du rouleau ? à part l’âne de Peau d’âne avant qu’on ne lui fasse la peau, je ne vois pas. [↩]
- allô Charles Perrault ? c’était pas écrit quelque part, ce truc de l’homme qui combat des dragons pour ta pomme ? arnaque, tromperie ! [↩]
- oui ça me dirait. mais oublie le madame. merci. et bisous ! [↩]
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