T’arrives à saturation. C’est pas que t’as fait le tour de la question, alors ça non, et loin de là by the way, seulement tu ne veux plus entendre parler de toi. Marre de t’entendre. Marre de te lire. Marre de tes fantastiques inner-théories, des comment, des pourquoi, des oui c’est ça, putain c’est ça, des waow c’est dingue, faut prévenir la terre entière. Marre des envolées lyriques et des épuisements bipolaires. Marre de se regarder dans le miroir, marre de n’avoir plus rien d’autre à voir. Tu voudrais ne plus avoir de mots, ne plus avoir la voix. Tu voudrais écouter. Ne plus faire qu’observer. Les autres. Tu voudrais décrire. Raconter ce que tu vois. Situer l’histoire dans le décor, pour une fois. Mais voilà c’est plus fort que toi, systématiquement tu interprètes. Façon cartomancienne. Warrior de l’intuition. La vie c’est comme les mathématiques. Plusieurs inconnues et des tas d’équations. T’as toujours aimé ça les mathématiques. C’est rassurant, les mathématiques. A part cette théorie à plus ou moins l’infini, alors ça t’as jamais voulu creuser le concept. Beaucoup trop effrayant comme perspective. Mais passons. Tu parles et tu te retrouves face à toi. Tu parles et tu n’écoutes pas. Chacun dans sa bulle. T’as besoin d’air. D’espace. De silence. Alors tu te tais. Tu regardes. Tu lis. Tu écoutes. Comme si tu n’étais pas là. Pause. Overdose. Rien à foutre. Fatiguée. Etouffée. Voilà le mot. Tu étouffes et tu ne vois pas comment tu pourrais rajouter des couverts pour ceux qui frappent à la porte. Surtout qu’à choisir c’est pas vraiment avec eux que tu voudrais dîner. A choisir tu voudrais des bourlingueurs de passage, des gens que tu n’as pas vu depuis longtemps, des amis qui n’habitent pas chez toi… certainement pas des squatteurs qui vont métamorphoser les paysages et changer les points de vue. Tu te dis que t’es allée un peu trop vite. Tu te dis que t’as passé trop de temps avec toi. Tu te dis que le pire c’est qu’on en est tous un peu là. Tu te demandes pourquoi on n’y arrive plus. Tu te dis que c’est ça qui te transporte quand tu vires de bord, en mer. L’action. Les gestes déterminés, mécaniques. Les ordres. Donner, recevoir. Net, précis. T’as pas le choix. D’ailleurs c’est la nouvelle armure que tu t’es collée sur le dos, même si tu te promets vingt fois par jour que c’est provisoire, même si tu sais qu’il ne faut pas en rester là. L’action. Avec Léon. Tu lui apprends à scanner, les mises en couleurs (
« tu seras dessinateur de BD mon fils »). Tu lui apprends à plier des avions en papier et tu le fais recommencer. Tu fais des fautes exprès quand il te fait faire une dictée et ça le fait rire, rire, et il te dit qu’il adore rire. T’as un paquet de choses à te faire pardonner. Tu sais que c’est une fuite. C’est bien pour ça que c’est si facile. Il grandit, il grandit tellement. Tu réalises combien c’est fantastique d’avoir fabriqué cet enfant. Différemment. D’autres dimensions. T’avais tout compris de travers. Chut. Tu ne veux pas en parler. Tu ne veux plus écouter ton histoire. Tu fatigues, tu te fatigues, tu fatigues tout le monde. Tais-toi.
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Elle te dit est-ce que tu pourrais écrire un portrait de moi, comment je suis, est-ce que tu pourrais raconter tout ce que je ne connais pas, je ne sais pas qui je suis moi. Tu te dis que le danger c’est fatalement ces projections que tu fais depuis toujours. Précisément. Interpréter, imaginer, redessiner, raconter. Romancière de caractères. Des mots sur du papier c’est tellement facile. Ce voile entre toi et la réalité. Tout le temps. La myopie fait voir la vie plus jolie (bienvenue au pays de oui-oui ™). Il n’y a pas les yeux, il n’y a pas de regard, pas d’émotions incontrôlées. Les émotions, tu les organises sur le papier. Sujet, verbe, complément. Et des tas d’épithètes qui tournent autour de l’impalpable. La relation à l’autre. Ta relation à l’autre. Tu ne sais pas. Tu cherches. Et tu reviens vers toi. Le ras le bol, il est là. Dans ce schéma là. Ridicule, épuisant. Du bruit pour rien. Elle te dit est-ce que tu pourrais écrire un portrait de moi, je voudrais savoir qui je suis, faire le point à cet instant T, redémarrer. Tu lui réponds que oui, d’accord, et maintenant tu te dis que c’est pas aussi simple. Tu te dis que sur ton image à toi que tu as d’elle, il y a trop de morceaux de toi. Parce que vous vous faites le même effet sur un certain nombre de mêmes causes. Parce qu’il a fallu vous accrocher et qu’il y a des circonstances où ça ne compte plus, les différences. On les oublie. Tu te dis que t’as pas le droit de faire ça, lui raconter son histoire à ta sauce. Utiliser les outils habituels. Faire passer des messages. Gonfler la mégalo. Tu sais qu’elle a envie, pourtant. Qu’elle est perdue. Mais il faut qu’elle saute. Il faut qu’elle passe à travers. Il faut qu’elle se raconte, qu’elle se voit. C’est pas comme si elle avait le choix.
[Elle vous dit est-ce que vous m’aimez assez pour me voir mourir, elle se dit que c’est comme ça que ça marche les sentiments dans la vie, elle se dit qu’il faut tout accepter comme elle l’a fait, parce qu’elle sait bien elle, la force de cet amour qu’elle avait, c’est ça qu’elle cherche, partout, ce vertige et cette ivresse, le danger. Elle vous défie. C’est moi la puissante. C’est moi qui sait. Soyez grands. Les petits, voyez ce que j’en fais. De la bouillie. Elle, elle sait. La frontière, la folie. Le tourbillon de la vie. Elle, elle sait. Challenging everything. La première marche du podium c’est forcément pour elle. Elle ne veut pas se résigner à voir que c’est fini, les olympiades…]
Mais ça, tu lui as déjà dit.
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