
Joséphine aurait deux grands-frères, et une très petite soeur. Très petite car née lorsqu’elle avait seize ans, jolie surprise pour ses parents. Ses frères, Jean-Baptiste et Guillaume, des jumeaux, l’auraient armé pour la vie, question sens de la répartie. Elle aurait vécu une adolescence dorée, petites transgressions et beaucoup de rêve. Elle aurait emmagasiné des souvenirs, des émotions. Des petites madeleines de Proust.
Elle aimerait le vin, le bon, elle connaîtrait les meilleurs crus, les meilleures années. Pas question de déroger. A l’apéro, elle servirait du Cristal. Elle saurait recevoir, et elle inviterait souvent. On aimerait sa cuisine insolite, sans en faire tout un plat. Elle aimerait la peinture, surtout l’art abstrait. Un de ses ex serait peintre, exposé dans une galerie du Pont-Neuf. Elle aurait gardé un bon contact avec lui, comme avec tous ses ex, elle saurait gérer les fins d’amours. La première chose qu’elle ferait le matin en se levant serait de boire un grand verre d’eau devant la fenêtre grande ouverte. A n’importe quel moment de l’année, dans n’importe quelles circonstances. Rituel, plaisir d’attaquer une nouvelle journée. Elle aimerait le contact avec les gens, trop parfois, on lui reprocherait d’arriver systématiquement en retard aux rendez-vous parce qu’en chemin elle s’était arrêtée pour discuter avec Pierre Paul Jacques. Elle aurait développé une passion pour la littérature russe, puis pour la Russie, quand son père lui aurait offert L’Idiot dans La Pléïade le jour de ses quinze ans. Elle aurait beaucoup voyagé en russie, y gardant des contacts, des amis. Elle aurait organisé une collecte pour faire venir Sergueï, rencontré là-bas au hasard d’une nuit chez l’habitant, se faire opérer dans une clinique ophtalmique en France. Le gamin louchait, il n’avait pas les moyens de se payer un coup de laser. Elle fabriquerait sa propre mode, elle aurait trouvé son style. Elle préférerait le curry d’agneau au pot-au-feu, et les bouchées vapeur aux sushis. Elle suivrait l’actualité culturelle, elle saurait faire le tri, elle aurait la tête bien faite. Elle connaîtrait le cinéma indépendant, l’oeuvre de Truffaut, le théâtre de Beckett. Et surtout, elle ne passerait pas sa vie sur Internet.
Je pourrais continuer des heures. Ce qu’elle dirait, la manière dont elle réagirait, ce qu’elle lirait, les sports qu’elle pratiquerait, les pays qu’elle aurait visités… Sa généalogie sur douze générations, ses cousins, les noms, les métiers, les passions… Créer une vie. Seulement, quand il s’agit de projeter le personnage dans une histoire, page blanche. Quand il s’agit d’imaginer ce qu’il pourrait lui ARRIVER, je suis désarmée.
Comme dans ma vie.
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