Chronique #178 : Héroïne de roman

18 juillet 2004 0 Permalink 0
Si j’aime écrire, c’est surtout pour inventer des personnages. Si j’aime inventer des personnages, c’est surtout pour me créer des identités bien plus achevées que la mienne.
ma muse s’amuse (et vice versa)
Elle s’appellerait… Joséphine Lacourt, c’est un joli prénom Joséphine. Mais elle l’aurait trouvé lourd à porter, surtout quand, petite, c’était devenu Fifi. Pour ses copines, elle était et resterait Jola. Car Joséphine aurait des copines, trois, qu’elle garderait toute sa vie. Joséphine Pascaud, dite Joco, qu’elle aurait rencontrée à trois ans, parce que deux Joséphine dans un même classe de maternelle c’est pas si courant. Joco, avec qui elle aurait échangé une correspondance volumineuse quand un déménagement les aurait séparées, avant qu’elles ne se retrouvent voisines de chambres en cité U. Joco qui quoi qu’il arrive serait prévenue avant tout le monde, Joco sa presque soeur. Et puis Stéphanie Chabrol, rencontrée quelques années plus tard, Stéphanie que les deux Jo avaient spontanément adoptées. Stéphanie, brillante, chrysalide devenue papillon, véritable femme d’affaires. Numéro trois, Gabrielle Villard, miss catastrophe, rencontrée à l’adolescence. Celle à qui il arrive toujours des péripéties abracabrantesques. Celle qui coiffe tous les autres au poteau, côté gaffes. Celle qui épouserait son frère Guillaume.

Joséphine aurait deux grands-frères, et une très petite soeur. Très petite car née lorsqu’elle avait seize ans, jolie surprise pour ses parents. Ses frères, Jean-Baptiste et Guillaume, des jumeaux, l’auraient armé pour la vie, question sens de la répartie. Elle aurait vécu une adolescence dorée, petites transgressions et beaucoup de rêve. Elle aurait emmagasiné des souvenirs, des émotions. Des petites madeleines de Proust.

Elle aimerait le vin, le bon, elle connaîtrait les meilleurs crus, les meilleures années. Pas question de déroger. A l’apéro, elle servirait du Cristal. Elle saurait recevoir, et elle inviterait souvent. On aimerait sa cuisine insolite, sans en faire tout un plat. Elle aimerait la peinture, surtout l’art abstrait. Un de ses ex serait peintre, exposé dans une galerie du Pont-Neuf. Elle aurait gardé un bon contact avec lui, comme avec tous ses ex, elle saurait gérer les fins d’amours. La première chose qu’elle ferait le matin en se levant serait de boire un grand verre d’eau devant la fenêtre grande ouverte. A n’importe quel moment de l’année, dans n’importe quelles circonstances. Rituel, plaisir d’attaquer une nouvelle journée. Elle aimerait le contact avec les gens, trop parfois, on lui reprocherait d’arriver systématiquement en retard aux rendez-vous parce qu’en chemin elle s’était arrêtée pour discuter avec Pierre Paul Jacques. Elle aurait développé une passion pour la littérature russe, puis pour la Russie, quand son père lui aurait offert L’Idiot dans La Pléïade le jour de ses quinze ans. Elle aurait beaucoup voyagé en russie, y gardant des contacts, des amis. Elle aurait organisé une collecte pour faire venir Sergueï, rencontré là-bas au hasard d’une nuit chez l’habitant, se faire opérer dans une clinique ophtalmique en France. Le gamin louchait, il n’avait pas les moyens de se payer un coup de laser. Elle fabriquerait sa propre mode, elle aurait trouvé son style. Elle préférerait le curry d’agneau au pot-au-feu, et les bouchées vapeur aux sushis. Elle suivrait l’actualité culturelle, elle saurait faire le tri, elle aurait la tête bien faite. Elle connaîtrait le cinéma indépendant, l’oeuvre de Truffaut, le théâtre de Beckett. Et surtout, elle ne passerait pas sa vie sur Internet.

Je pourrais continuer des heures. Ce qu’elle dirait, la manière dont elle réagirait, ce qu’elle lirait, les sports qu’elle pratiquerait, les pays qu’elle aurait visités… Sa généalogie sur douze générations, ses cousins, les noms, les métiers, les passions… Créer une vie. Seulement, quand il s’agit de projeter le personnage dans une histoire, page blanche. Quand il s’agit d’imaginer ce qu’il pourrait lui ARRIVER, je suis désarmée.

Comme dans ma vie.

C’est fou. Aujourd’hui les gens du public qui attrapent un ballon, un t-shirt, un chapeau… c’est plus pour l’encadrer religieusement, destin de quelques mythiques lambeaux de chemises de Morrissey, non, aujourd’hui, c’est pour le vendre sur e-bay. Se faire un max de thunes. Y a plus de rêve, plus de magie. Décidément, je suis née vingt ans trop tard.

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