Chronique #502 : Il était une fois la révolution

17 mars 2005 0 Permalink 0
casey jones – grateful dead
you’d better watch your speed
Tu sais plus si c’est une bonne idée, cette auto-analyse que tu fais toute la journée. Tellement plus que ça fait deux jours que tous les prétextes sont bons pour ne rien venir écrire ici, t’as même sorti la grande cavalerie et le ménage de printemps. T’es pas stressée pourtant. Pas angoissée, pas nerveuse. Il y a juste cette chose que t’as pas envie de voir, t’as même pas envie de savoir ce que c’est by the way, t’as pas du tout envie de la déballer – tu préférerais l’oublier (mais il y en a toujours qui te la rappellent, qui te la rappellent…). Il y a la puissance et la gloire, que tu n’as plus envie de voir. Il y a cette fatigue, il y a ton père qui te raconte son enfance et c’est la première fois à ce point là, et tu vois le temps qui a passé, tu vois que bientôt il ne travaillera plus et tu te dis que tu ne l’as pas vu vieillir et qu’il est tellement triste en ce moment, ton père. Tu te dis qu’il pourrait mourir demain, comme tout le monde mais la probabilité grandit chaque jour qui passe. Il te donne un fauteuil pour l’appartement. Il est pas très beau ce fauteuil et surtout vachement ringard, pour du vintage. Le genre en bois foncé, probablement du noyer, qu’on a sculpté au delà du ringard et jusqu’aux accoudoirs, puis tapissé d’un cuir vert olive que personne n’a vu nulle part depuis qu’on a réalisé que c’était juste moche, cette couleur bizarre. Il est pas très beau et même pas confortable mais dedans t’y vois ton grand-père, à un bout de la table rectangulaire dont on tirait les rallonges le dimanche à midi. Ou ta grand-mère, à l’autre bout, le bout côté cuisine. Non pas qu’elle se levait au cours du déjeuner, certainement pas, la bonne et ses belles-filles étaient là pour ça, seulement la position était stratégique, centrale. Ils vous impressionnaient, ces deux fauteuils là, et pas question de s’en approcher, les enfants ne touchent pas aux affaires des grands, mélange d’appréhension et de fascination, des tas d’histoires. Plus tard tu y verrais ta grand-mère, déjà plus la même, se pencher pour regarder tous ces débats à la télé… Tu ne te souviens plus où tu étais, quand ils ont déménagé son appartement, et pourquoi tu n’as pas participé. T’as pas le souvenir qu’on ait demandé ton avis mais tu ne peux pas affirmer que personne ne l’avait fait non plus. Mais tu n’avais rien récupéré et tu savais pas si tu le regrettais, ou pas, c’était comme ça, et puis tu n’avais pas d’endroit. Hier il t’a posé la question comme si ça le soulageait, comme si il ne savait vraiment pas quoi faire de ce fauteuil, et t’en revenais pas. Tu sais ce rapport qu’il a ton père avec les meubles, avec les intérieurs. Ton père il aménage l’espace des autres, et le sien par la même occasion. Il bétonne. Il scie, il cheville, il vernit. Il électrifie, il transforme. Il monte des étages. Il n’y a pas un lit dans lequel tu as dormi ici ou là-bas, pas une table de ces (ses) maisons où les dîners se font spectacles, pas une armoire ni une commode, pas une chaise ni un bureau, qui ne soit passé par son atelier, là haut au grenier. Ton père, ça le fait bien rigoler les machins en kit qu’on achète chez ikea. Plutôt crever que d’y foutre un pied, faut pas déconner. C’est pas comme si t’allait croire à son air de rien. Pas comme si tu savais pas que ta mère l’avait engueulé (l’hôpital, la charité, l’hôpital, la charité). Pas comme si la diarrhée verbale, derrière, n’était pas destinée à ignorer la tempête et l’émotion à felur (à fleur, aussi…) de cils. Nostalgie, mélancolie, tu vas bientôt partir. Il va bientôt mourir. Panique. Tu sais que tu lui ressembles beaucoup à ton père et c’est sûrement pour ça que c’est tellement difficile. Tu sais que tu as pris la part qu’il aime le moins, la part de doute et de désespoir, la part de lucidité et de fatalité. Personne n’aime confronter les ombres. Tu vois bien comment tu fais toi, quand tu penses que Léon effleure les siennes comme un écho à celles que tu devines chez toi. Tu changes de sujet. Tu parles. Tu tournes autour du pot. Tu divertis. Hop hop. Vade retro l’essentiel. T’es bavarde, tu racontes ta vie. Tu occupes l’espace de mots, tu t’arrêtes plus. Tu voudrais le silence. Tu voudrais écouter. Tu voudrais la paix. Tu voudrais rester perchée et te reposer.

Tu voudrais bien ne pas être entrain de te dire que tu as écrit cette note pour éviter d’en écrire une autre. Celle qu’il va bien falloir pondre un jour, ici ou chez ELLE qui n’est pas là pendant quinze jours, et viens pas me mentir en racontant que ça te manque hein. C’est bien pratique d’avoir repoussé l’échéance.

sun shines everywhere… what a beautiful life, obviously !

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