
Avec Loustic, c’est facile, trop facile, j’abuse. Je joue avec son désir, que je comble à chaque fois, quand il s’y attend le moins. Je me freine, je m’impose des règles, sans bien comprendre pourquoi, sans adhérer vraiment à cette loi tacite qui intime la confrontation à la frustration, au prétexte que «dans la vie on ne peut pas tout avoir»… Je me dis que je contribue à lui construire une enfance magique, dans laquelle il pourra puiser la force d’être un adulte heureux, rayonnant… Je me dis aussi que c’est peine perdue, qu’il va se coltiner des névroses à cause de moi, descendantes des miennes… Curieusement l’un ne compense pas l’autre. Tout ça vit en parallèlle, selon le sens du vent, selon la phase de mon instabilité émotionnelle chronique… Il y a l’image, la projection de ce que j’aurais aimé vivre quand j’étais enfant. Il y a ma culpabilité, ma honte. Il y a l’histoire particulière que j’ai tracé avec lui, tellement désiré mais tellement oublié derrière l’écran noir de ma souffrance… Il y a la peur irraisonnée de le perdre, superstition écrasante, vengeance de la vie, prix à payer… J’ai peur de la vie.
J’ai un net souvenir du jour où j’ai perdu mon innocence, où la magie a disparu de ma vie. Finie l’époque où les petites souris collectionnent les dents de lait, où les cloches reviennent de Rome chargées de chocolat, fini le rêve. En tous cas, c’est le sentiment qui m’avait traversé l’esprit ce jour là. La première fois où j’ai vu, concrètement, mes oncles et mes tantes transporter les cadeaux jusqu’au pied du sapin. Mon intense mélancolie, ma tristesse exacerbée. Et la bonne surprise, aussi, devant les poupées et leurs vêtements qu’avaient préparés ma mère pour ses filles dans le secret de sa chambre à la maternité, pour accompagner la naissance de notre dernier frère.
J’entrevois aujourd’hui toutes les connexions, les strates, les erreurs de parcours. J’entrevois surtout ma quête du désir, je focalise là dessus. Constamment, je suis en quête. Constamment, j’ai été en quête. J’ai pleuré, quémandé, somatisé… En vain. Je suis effarée par l’étendue de la tâche.
Je m’aperçois que j’ai lutté contre les associations libres ce soir. J’ai recadré, suivi la trame. Ce fameux Noël, j’avais décidé de l’écrire dans le marbre. J’étais partie ailleurs pourtant… résistance… Départ demain, trois jours à la campagne. Retour au papier et à mon précieux carnet. Si besoin. Je vais essayer de ne pas trop préparer cette dernière séance, lundi, avant ses vacances.
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