Chronique #139 : Extra-lucidité

18 juin 2004 0 Permalink 0
Je sais tout, j’ai tout compris, je sais ce que les gens pensent et comment ils fonctionnent, et en prime je les méprise d’être si ignorants de la Vérité de la Vie.
…ou plus simplement l’impératrice des prétentieuses.
Bref, tout ça parce que MOI je fais une analyse, ou une psychothérapie analytique, peu importe dans le cas présent, et bien MOI je suis baignée par la grâce de l’hyper-intuitivité, les mystères les plus profonds n’en sont plus pour moi, ou plus pour très longtemps en tous cas… Les religions, par exemple. Ah la belle arnaque, me dis-je aujourd’hui. Je ne crois plus en rien, et surtout pas en Dieu, non mais qu’est-ce que c’est que cette mascarade que l’homme a inventé, non mais comment est-il possible qu’autant d’ânes croient des conneries pareilles. Tiens, je serais même capable d’entrer dans une secte, mais directement comme adjoint du gourou (l’idée m’a très sérieusement effleuré l’esprit il y a quelques temps, c’est dire quel niveau de mégalomanie j’ai atteint), tellement c’est facile de manipuler les gens, tellement les gens sont bêtes.

Pareil avec ma psy. Se rend-elle compte à quel point je fais des transferts, des projections, à quel point j’ai ressorti un complexe d’Oedipe, à quelle point je suis en pleine mégalomanie ? Se rend-elle compte que je vis toutes ces étapes tellement banales en même temps (il y a des kilos de littérature à ce sujet, à commencer par Freud et Lacan…). Je m’auto-analyse, pleine d’une suffisance insupportable, d’un sentiment de supériorité consternant. Je n’ai plus confiance qu’en moi, ce qui est très paradoxal. Alors c’est comme si je faisais une thérapie pour du beurre. Comme si je lui disais des trucs pour lui faire *plaisir*, des trucs que je pense qu’elle peut recevoir, des trucs qui lui fassent penser qu’elle est une bonne psy. Là encore c’est paradoxal, parce que ça entretient chez moi l’idée que c’est une débutante, qu’elle a du potentiel mais qu’il faut le développer. Seulement mon attitude n’aide en rien, si on va dans ce sens là. Je la protège, je ne veux pas la confronter à un échec (un truc du genre : « là je ne suis plus compétente, je vais donc vous adresser à un confrère plus expérimenté que moi »). Pas envie de tout recommencer avec un nouveau psy, aussi.

Je ne comprends pas comment j’ai pu développer un tel délire de grandeur. Un ego surdéveloppé, quand ma vie réélle est si pauvre, si insignifiante. Un self-esteam démesuré alors que je m’aime si peu. En même temps je sais que ça ne date pas d’hier. Le jour où j’ai décidé d’inventer des histoires pour que les autres s’intéressent à moi (faux cousins alors que j’en avais déjà une vingtaine, mais ils n’étaient pas assez « hype »… petit copain anglais (le premier !)… maladies imaginaires et plâtres pour de faux – personne n’a rien vu, même pas les médecins, incroyable – etc.), c’était le même *concept*. Je-suis-quelqu’un-de-tellement-bien-que-je-devrais-avoir-une-vie-bien-plus-illustre-ça-n’est-pas-le-cas-donc-j’invente-pour-compenser-et-réparer-cette-injustice.

Alors soudainement je découvre que le noeud du problème n’est pas ce que j’ai cru pendant des années. Je découvre que le noeud du problème c’est mon désir immodéré de puissance, mon goût des réalisations grandioses (in Dictionnaire de la Langue Française, Hachette 1980).

Mon attrait pour l’écriture.

Mon admiration inconditionnelle pour les savants, les grands intellectuels.

Mes transferts sur les filles jolies, espiègles et sûrement populaires, dotées d’une faille qui les rend émouvantes : si j’étais incarnée en l’une d’elle, je serais la reine de l’univers…

Mon rejet, mon dégoût pour les faibles, les gros, les beaufs… MOI, je mérite un meilleur entourage…

Mon narcissisme fluctuant, mon obsession pour les must-have…

Ma vexation quand Monsieur Ex m’a quittée (comment un mec moyen comme lui qui a l’insigne honneur de partager sa vie avec quelqu’un d’un tel niveau spirituel intellectuel et humain peut-il oser la quitter pour une autre… dénigrement des faire&dire de l’Autre… transfert de responsabilité sur le physique… sans y croire tellement non plus, car finalement qu’est-ce que le physique quand on vit avec quelqu’un de si exceptionnel…). Blessure d’orgueil.

Ma honte quand je ramène à la surface RO (comment ai-je pu ne serait-ce que croire que j’étais amoureuse de ce looser beauf gros et bête ? comment ai-je pu rentrer dans son univers, allant jusqu’à suivre ou même initier ses plans d’avenir ? comment ai-je pu le présenter à tous mes proches, à la Bande et surtout aux P., à ma famille et surtout à mon frère – celui pour lequel j’ai le plus d’estime intellectuelle, celui qui est le seul à ne pas être convaincu de mon extrême supériorité intellectuelle – comme l’homme qui allait partager ma vie pour la vie ? comment effacer définitivement ces deux mois de ma vie tellement blessants qui m’ont fait lui tourner le dos lâchement et sans l’ombre d’une explication ?) Honte d’avoir flanchée, de m’être rabaissée, c’est cette honte là qui m’abîme encore quand comme ces jours-ci RO m’effleure l’esprit… C’est cette honte là qui me fait éviter les P., pas tout le reste, pas tous les mensonges que je raconte… Les P. que j’essaie de toucher par une voix annexe et très sournoise, utilisant Loustic pour servir mes desseins (et me préparer un nouveau transfert). Je n’assume pas… Blessure d’orgueil.

Ma chute, quand E. m’a jetée. E., l’homme parfait car intellectuellement compatible, et beau. L’homme que je méritais, à défaut d’épouser Felipe d’Espagne. L’homme à ma hauteur, une petite carence professionnelle (manque d’ambition, manque d’exceptionnel dans son métier, cadre lambda) mais tout le reste correspondait. Et il n’a pas voulu de moi. Un «Pourquoi ?» qui éclate, qui se répercute, qui ne trouve que son écho – et pas de réponse. La seule envisageable ne l’est consciemment pas. Je ne suis pas assez bien pour lui. Ce qui est fondamentalement vrai, mais mon ego ne peut pas l’entendre. Pas le décrypter. Incompréhension qui ramène à l’enfance, à la source des choses. Privation du sein maternel. Incapacité d’intégration de cette frustration inouïe. Les symptômes sont les mêmes. Origine de la névrose.

Voilà. Le noeud du problème, c’est la mégalomanie. Euh même pas, si je suis les lignes de mes associations libres et éloquentes du soir. La mégalomanie n’est qu’un déguisement, sans doute le plus mystifiant.

Dîné avec A. ce soir. Mon filleul adoptif. M’a envoyé en touche quand j’ai abordé Ma Reine pour la xième fois, tout en suggestion évidemment mais pas assez. Ou alors c’est encore une émanation extra-lucide. Bref, je suis perplexe. J’ai un rapport avec lui d’une nature totalement différente de tout ce que je connais ailleurs. Idem avec son père, mais c’est encore autre chose. Faudra que je creuse un jour (ou pas).

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