
Et pourtant si. Accident cérébral. Un truc un peu comme la mort subite du nourrisson, un truc qui fauche sans prévenir, qui anéantit.
Les mots sont dérisoires… J’aurais voulu accourir, les enlacer, les embrasser, ceux qui restaient. Partager leur peine, compatir. Mais je refusais l’ostentation. Je sais que c’est en eux qu’ils devaient trouver la force de vivre, de sur-vivre. Je serais là, après, tout le temps. Ironie du sort, la radio diffusait en boucle « tu ne m’as pas laissé le temps de te dire tout c’que je t’aime… »
Je me souviens, aussi, de l’indifférence de Monsieur Ex face à mon tremblement de terre. Ses bras maladroits, son détachement. Décidément, il n’avait rien compris à moi, celui-là.
Destinée… Tout-à-coup, en plein séisme, une idée terrible me traversait. Et si ma destinée, à moi, avait été justement de suppléer à l’abscence programée de Ma Reine dans la vie des siens ? Et si j’avais bêtement forcé le destin avec Monsieur Ex, fabriquant Loustic, m’attachant de fait son père, alors qu’il était prévu autre chose pour moi ? Oui je sais je suis tordue. Mais…
J’ai rencontré Ma Reine lorsque j’avais quatorze ans. Elle et son mari venaient de s’installer dans ma ville, et je devenais leur baby-sitter. L’année d’après, elle était ma jeune prof – Dieu sait ce qu’on lui en a fait voir ! – et je gardais toujours ses enfants. Elle a attendu Arthur en nous instruisant, nous avons célébré l’évènement à la maternité… Je passais près de trois soirs par semaine chez elle, puis la moitié de mes week-ends – Sidonie s’annonçait. Lorsqu’ils sont tous partis à l’étranger, quelques mois plus tard, j’étais désespérée. Mais ils ont fini par revenir, et j’ai retrouvé ma fonction de petite-soeur-baby-sitter. Nous parlions de tout, de mes aspirations, de mes désirs, de mes errances d’adolescence… Elle était là tout le temps, savait me décoder, me remuer…
J’avais une place dans leur vie comme ils en avaient une dans la mienne. Et si… tout cela avait été orchestré ? Et si *quelqu’un* avait su que Anne tirerait sa révérence, et si mon rôle à moi était de prendre la relève ? Impossible, cependant, de m’imaginer à sa place. Elle était tout ce que j’aurais aimé être et que je ne serais jamais.
Aujourd’hui, Côme est un peu mon grand-frère. Même si évidemment cela n’a rien à voir. Mais il sait combien Anne comptait dans ma vie, et cela nous lie. Nous sommes frères de douleur. Bien que j’éprouve une certaine gêne à écrire cela – il le sait d’ailleurs. J’ai énormément de tendresse pour Arthur, aussi. Il sait – en tous cas je l’espère – qu’il peut compter sur moi. Il baby-sitte Loustic de temps en temps. Loustic l’adore. Loustic connaît Ma Reine, je lui en parle tout le temps. Comme je lui parle tout le temps à elle, à qui j’ai attribué un rôle d’ange gardien…
Putain de destinée.
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