
Voilà dix ans que des morceaux se détachent, il y a d’abord eu ses yeux qui ne nous ont plus vus puis sa mémoire qui ne nous a plus reconnus puis elle a oublié comment marcher puis il a fallu la nourrir et elle te fait penser à un papillon perdu dans des vents contraires qui se laisse aller parce qu’il sait que la fin est inéluctable. Mais il aimerait sans doute la voir arriver rapidement la fin, le papillon. Si il était encore capable de donner son avis.
Voilà dix ans qu’on nous avertit un soir ou un matin qu’il faut venir alors on se dit enfin et tout de suite après la culpabilité déverse ses kilos de remords alors on s’invente des excuses politiquement correctes parce que c’est interdit de souhaiter son départ, tu le sais bien que la mort c’est mal, on te le répète suffisamment à longueur d’avertissements ici et là. On te dit qu’elle n’a pas l’air malheureux, qu’elle est même plutôt plus heureuse qu’avant, tu te demandes combien de temps on va se foutre de ta gueule comme ça, tu te rappelles ses vociférations quand chaque année ils amenaient Jeanne Calment devant les caméras de sa télé, pitié que cela ne m’arrive jamais de vivre aussi vieille ah non jamais c’est ridicule quand même. Tu te dis que c’est bien pire aujourd’hui.
Hier elle n’a pas voulu ouvrir les yeux ni se lever. Ce matin on nous dit qu’elle va mieux. Mieux. Bordel.
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